Pierre Rabhi s’exprime peu sur l’entreprenariat. Pourtant, il est lui même entrepreneur. Et même « serial entrepreneur ».
Il l’est en tant que fondateur de sa ferme en Ardèche, mais aussi en tant qu’auteur de plus d’une dizaine de livres ou en tant que fondateur du mouvement des Colibris, de Terre et Humanisme, de la ferme des Amanins qui a elle seule compte 14 salariés aujourd’hui.
Pierre Rabhi a accepté ma demande d’interview et nous a accueilli chez lui en Ardèche. Pendant 1 heure, j’ai pu lui poser quelques questions qui me brûlaient de lui poser sur ce que c’est pour lui qu’entreprendre.
Vous retrouverez ici l’intégralité de l’interview (texte), ainsi qu’un montage vidéo, dont j’ai retenu les meilleurs extraits.
L’interview de Pierre Rabhi – Entreprendre
Thomas : Bonjour et bienvenue sur cette nouvelle vidéo de bio-entrepreneur.com. Aujourd’hui j’ai la chance et l’honneur d’être avec Pierre Rabhi. Bonjour Pierre Rabhi.
Pierre Rabhi : Bonjour
Thomas : Et merci de nous accueillir. Donc Pierre Rabhi vous êtes penseur, philosophe, paysan, conférencier, écrivain (vous avez écrit une bonne dizaine de livres). Vous donnez des conférences un peu partout aujourd’hui. Et on vient vous voir de très loin par rapport à votre parcours qui est extraordinaire et par rapport à l’impact que ça pourrait avoir en fait sur le monde aujourd’hui et on espère aussi demain.
Alors bio-entrepreneur.com c’est comment accompagner les entrepreneurs dans la transition verte de leur entreprise. C’est à dire comment transformer une entreprise existante, pour qu’elle réponde mieux aux enjeux de demain pour préserver la nature et préserver les hommes aussi. Et mettre l’homme et la nature au cœur du système et pas l’inverse.
C’est aussi pour certains entrepreneurs comment créer une entreprise à partir de zéro en veillant à ce qu’il y ait déjà les bons éléments dans l’ADN de base de leur entreprise.
Alors j’en viens à une première question : vous vous définissez vous-même je crois comme entrepreneur social j’ai vu ça dans un de vos livres (Pierre Rabhi semeur d’espoir par Olivier Le Naire page 97) et ma question … Qu’est-ce que, de votre point de vue ce serait un entrepreneur et entreprendre ?
Pierre Rabhi : Alors il y a quand même une petite introduction à faire. Nous sommes ici dans un lieu que nous habitons depuis 50 ans par choix. Nous étions à Paris, moi je viens du désert, j’ai rencontré Michelle à Paris « nous travaillons dans la même entreprise ». Et comme je m’intéressait beaucoup aux philosophes, en fait c’était se poser des questions sur qu’est-ce que la vie ? C’est la moindre des choses : on est vivant, la vie c’est quoi ?
Donc ça m’a amené évidemment à pratiquer beaucoup les philosophes. Je me suis rendu compte que finalement il n’y a pas une unanimité sur la façon dont on conçoit la vie et le monde et que les philosophes ne sont pas forcément d’accord. Il y a une multitude de philosophies. C’est bien qu’on est dans des points de vue différents voir divergents, mais en fait qui a raison ?
Comme il n’y a pas de consensus on peut se dire bon… il peut y avoir des consensus sur certains éléments mais globalement sur penser la vie et ce que signifie la vie, qu’est-ce que nous faisons sur cette planète ? Comment ? Etc, ça il n’y a pas de réponse unanime.
La seule réponse que j’ai retenu, au bout d’un certain temps, c’est celle de Socrate « Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien ».
Voilà et je pense que tout le monde peut se l’appliquer.
A partir de là et bien je ne sais rien : pourquoi je suis né ? Pourquoi je suis né dans le désert et que je suis venu vivre en France et pourquoi j’ai rencontré Michelle et nous avons décidé d’un retour à la terre ?
La décision on peut la clarifier c’est une désapprobation profonde qui est née du fait que l’être humain c’est à peu prêt 1 minute et demi à 2 minutes sur 24 h.
Thomas : sur l’échelle du temps
Pierre Rabhi : sur l’échelle du temps planétaire. Donc il est arrivé tout récemment et à partir de ce moment là il a déterminé les choses à sa convenance. Nous avons commis un ouvrage avec mon ami Jean-Marie Pelt qui vient de nous quitter. C’était « Le monde a-t-il un sens ? ». On partait sur une idée « le monde a-t-il un sens ? ».
Bon il a fait une rétrospective sur comment la vie s’est organisée sur terre. Ce qu’il a mis en évidence c’est que tout a été basé sur l’associativité et la coopération. Associativité, Coopération.
Et quand l’être humain est arrivé. Donc aucune dualité. Je dis souvent même quand un lion mange une antilope le pauvre vieux, il faut bien qu’il vive. La nature l’a fait comme ça. Mais il n’a pas de banque d’antilopes ni de dépôt d’antilopes pour vendre aux autres.
Thomas : Il n’a pas stocké…
Pierre Rabhi : Donc la vie se donne à la vie. ça c’est loi générale : la vie se donne à la vie, rien ne se créé rien ne se perd tout se transforme etc.
Thomas : d’accord.
Pierre Rabhi : Donc voilà la logique telle qu’elle a été établie et dans laquelle nous, nous nous sommes insérés. Mais en nous insérant dans cette logique là nous avons amené la dualité. Nous avons rompu avec le coopération pour rentrer dans la dualité.
Thomas : c’est très récent.
Pierre Rabhi : C’est 1 minute et demi, 2 minutes, c’est très récent. Quand on remonte l’histoire, dans les idéologies qu’est-ce qui s’est passé ? Et bien les religions ont créé la dualité, les idéologies. Les philosophies ont entretenues d’autres dualités : les dualités raciales, il y en a une multitude. Tout le catalogue des dualités est très vaste.
Et l’humanité n’a pas pris conscience qu’elle est une, elle ne devrait pas être divisible. Ce qui a fait la diversité c’est évidemment quand on est dans un climat chaud, on a la peau plus foncée, et quand il fait un plus froid, on a la peau plus blanche : la nature a en quelque sorte fabriqué l’être humain, en fonction évidemment de son adaptation à un milieu et sous l’influence d’un milieu.
Après il y a plein de choses à dire, il y a des façons d’être en adéquation avec la nature : donc je vais faire ma maison avec les matériaux que j’ai. Je vais essayer de survivre avec les ressources qui me sont données là où je suis.
Et puis c’est la créativité : je vais m’habiller en fonction de etc. et c’est cette créativité humaine qui est intervenue pour dire voilà, je répond à ma survie par ce qui m’est donné. Et grâce à ça donc le cerveau humain s’est perfectionné à ce niveau là parce qu’on ne verrait pas un gorille sur la banquise ni un ours blanc au milieu de la forêt tropicale.
Donc sont venus… Les êtres humain conscients… quoique j’en doute un peu, mais enfin…
Thomas : d’une certaine manière
Pierre Rabhi : oui. Aujourd’hui c’est prendre conscience de notre inconscience vraiment. L’être humain a cette spécificité. Il a un temps déterminé dans cette réalité. Et ce qui provoque en lui une terreur énorme, c’est la peur de ne pas survivre. La peur de sa finitude amène l’être humain a essayer de voir si il n’y aurait pas quelque chose qui fasse que quand il meurt il passe dans le monde métaphysique. Je renaîtrais, je me réincarnerais, quand je mourrais… etc etc.
Ce sont des croyances. Je ne dis pas que, je ne suis pas en train de dire qu’elles sont inutiles, je suis en train de dire que ça créé une nouvelle cacophonie qui est celle du monde religieux par exemple. Les trois religions du livre reconnaissent la même filiation mais se divisent. Elles ne peuvent pas s’entendre et à l’intérieur de chaque religion il y a des dualités. Et de dualité en dualité on va vers la philosophie qui détermine la vie de certaines façons et pour aller vite, c’est la grande scission entre l’est et l’ouest.
C’est la philosophie qui a fait cette scission etc. et donc l’homme est constamment cela et en même temps il y a la subordination universelle du féminin, c’est à dire de la femme à travers le féminin.
Pourquoi diable la femme serait-elle subordonnée à l’homme ?
L’homme et la femme sont les deux énergies dont nous avons besoin. Nous sommes là grâce à ces deux énergies. Et donc pourquoi sont elles subordonnées ? Ensuite le féminin a été subordonné, alors qu’on sent que c’est une énergie très très forte. Parce que la femme, enfin quelque fois je suis presque jaloux de ne pas avoir pu porter la vie en moi. C’est quand même prodigieux, c’est quand même la vie.
Alors comment peut-on concilier le fait de porter cette vie et à la fois de vouloir que cette vie soit interrompue ? Donc la femme a de moins en moins cette propension à la destruction. ça ne veut pas dire que c’est une sainte.
Thomas : Oui, oui.
Pierre Rabhi : Donc nous vivons dans cette nébuleuse de croyances, de choses, de malentendus de choses mal expliquées etc. Et notre rapport à la nature au lieu de garder ce rapport qu’ont eu les primitifs : moi j’ai dans ma chambre, la seule chose que j’ai affichée dans ma chambre c’est le discours du chef indien Seattle qui dit bah voilà « vous me demandez de vendre la terre mais elle est pas à nous c’est nous qui appartenons à la terre ».
Nous sommes là que pour un temps provisoire voilà ce qui est juste. Ce qui est juste c’est que nous ne sommes que provisoire. Alors quelque fois l’être humain à dit : la loi de la jungle ! La loi de la jungle ? Non ! On n’applique pas la loi de la jungle ! On applique la loi de la destruction, de la violence, de la dissipation, de l’épuisement. On applique tout ça. Je dis souvent un lion mange une antilope mais il n’a pas de banque d’antilopes ni d’entrepôts d’antilopes pour vendre aux copains une fois qu’il est rassasié. Voilà le pauvre vieux faut bien qu’il vive !
Alors on dit la loi de la jungle : moi je serais un animal je serais presque vexé qu’on me compare à un être humain. Parce que c’est horrible ! Nous détruisons, nous tuons, nous tuons pour des idées, pour des choses inutiles, nous détruisons partout.
Les êtres humains ont avant tout, avant qu’on aborde les questions de l’entreprise, parce qu’avec tout ça je n’ai pas perdu le fil, mais ce préambule me parait absolument indispensable parce que sinon…
… est arrivé dans l’itinéraire évidemment de l’être humain qui a été en dialogue permanent avec la nature…
Et puis on est arrivé à la démiurgie moderne de l’être humain qui se gonfle de technologie du miracle technologique. Il a cru que ça y est, il avait le niveau suprême de divinité humaine.
Thomas : Et quand il fait ça, il casse le lien qu’il a depuis le début.
Pierre Rabhi : Non seulement il casse le lien mais il subordonne et il exploite. Il devient prédateur. Je vous conseille beaucoup la lecture d’un ouvrage qui est absolument remarquable d’Henry Osborn « la planète au pillage »
C’est un livre vraiment à lire parce qu’il a fait toute la rétrospective de l’impact du phénomène humain …
L’humain a impacté sur cette planète par la destruction … on a désertifié ! On est ébahi devant des vestiges d’architectures humaines. Cette architecture, souvent la nature l’a payé au prix fort.
On arrive a aujourd’hui. Une fois qu’on a réalisé tout cela, se pose la question : nous sommes aujourd’hui, pour un peu franchir les étapes rapidement, nous sommes aujourd’hui dans une situation très paradoxale. Nous sommes un peu dépités parce que finalement le bonheur escompté par la technologie et le progrès n’est pas au rendez-vous.
On est même dans des sociétés hyper prospères, mais qui sont des grandes consommatrices d’anxiolytique et d’antidépresseurs. Quand on cherche le bonheur éperdument, comme on ne l’a pas dans la réalité, il faut qu’on prenne quelque chose : on se saoule, on se drogue, on se trouve tout les stratagèmes pour essayer de se sentir bien.
Et là, il y a un échec énorme, parce que la nature elle offre tout. Dont la joie. Et cette joie… Alors comme on ne peut pas acquérir la joie, le but suprême, on va vers le plaisir. C’est pas parce que j’ai ce que je veux que je suis heureux, que j’ai du bonheur, de la joie : c’est fondamental.
On peut frimer, montrer aux autres, se la raconter à soi-même se dire voilà, sauf que les gens qui ont un succès publique, les stars…
Thomas : Alors le succès, on va en reparler tout à l’heure, je vais vous demander votre définition du succès justement.
Pierre Rabhi : Voilà. Et donc on aboutit à une humanité qui est dépitée … et avec un état des lieux planétaire, où d’un côté il y’a une telle prospérité qu’on jette et qu’on gaspille, et de l’autre côté des êtres qui ne peuvent pas donner un mode de vie à leurs enfants.
Donc on est dans ce truc tragique ou finalement nous donnons beaucoup plus d’importance à servir la mort et l’armement… qui se perfectionne. On ne se rend pas compte combien nous sommes fous. C’est quand même incroyable qu’on ne se rende pas compte que les armements c’est une horreur. C’est l’émanation d’une conscience non évoluée une conscience même régressive.
Et quand on constate que tant de moyens sont consacrés à la destruction et qu’on se donne du mal pour nous entre tuer, alors que la nature en demanderait qu’un peu plus d’attention pour permettre le reboisement et même dans des pays où c’est le désert, je connais bien donc ce sujet là.
Et bien, au lieu de cela et bien on continue.
Thomas : La maison brûle pendant qu’on regarde ailleurs, comms disait quelqu’un de connu.
Pierre Rabhi : Voilà. Donc à partir de là je veux dire, je ne me permettrais certainement de vous dire tout ça si nous n’avions pas tenté du mieux possible de nous mettre en cohérence. Il est très important de savoir que le choix que nous avons fait, de venir vivre ici, c’est une tentative de nous mettre en cohérence avec nos convictions profondes dans notre manière de vivre.
Thomas : Donc c’est vraiment ça le socle de toute votre aventure en fait. Tout ce qui s’est enchaîné derrière et finalement de votre penchant pour entreprendre ? Je ne sais pas si on peut le dire comme ça…
Pierre Rabhi : Oui, disons que nous avons entrepris. Nous avons entrepris au sens simple des choses. Nous étions en ville, dans Paris. On avait un boulot, on travaillait dans les entreprises nous-même. On était donc des sujets de l’entreprise. Elle ne nous appartenait pas, mais on était les sujets, les serviteurs de l’entreprise.
Et à un moment on a dit tout ceci ça mène à quoi, vers quoi ? Et finalement ce qui est apparu c’est que l’entreprise, surtout la grande entreprise, pour moi je l’ai vécu véritablement comme une terrible aliénation. Ce qui était proposé pour mériter de rester dans l’entreprise, c’est de dire « je troque mon existence contre un salaire », à vie ! Et ensuite je rentre dans un processus d’incarcération.
Et j’amuse les gens en disant « de la maternelle à l’université on est enfermés, ensuite tout le monde travaille dans des boites, des grandes et des petites boites, même pour s’amuser on va en boite, pour conduire on y va dans sa caisse. Puis y a la boite où on met les vieux, en attendant la dernière boite.
Et tout ça est jalonné d’entreprises. Celui qui créé une boite, il est entrepreneur aussi, et tout le monde est entrepreneur dans l’itinéraire de ces choses là.
Thomas : c’est une manière de s’enfermer effectivement dans une petite boite…
Pierre Rabhi : C’est une manière de restreindre en quelque sorte le champ extraordinaire de la vie. Vous voyez là on écoute les cigales ! Vous savez les gens me disent. Enfin je leur dis « mais je suis milliardaire ». Evidemment ce n’est pas en argent que je suis milliardaire, mais je suis milliardaire en offrandes de la vie. Quand vous vous réveillez et que vous écoutez les cigales que vous avez un beau paysage que vous avez tout ça…
Thomas : Mais c’est né d’une entreprise
Pierre Rabhi : Ce n’est pas venu comme ça, ça ne nous pas été amené sur un plateau. En plus ni l’un ni l’autre ne sommes fortunés. Nous n’avions rien du tout ! Il a bien fallu qu’on le fasse, que cette entreprise que nous avons engagée : c’est une entreprise ! Mais cette entreprise n’avait pas pour finalité un bilan économique.
Bien sûr, il fallait survivre. Attention il fallait bien survivre. On pouvait manquer d’argent etc… Il fallait entreprendre. Ce n’était pas le rêve un peu soixante-huitard du retour au bon sauvage ou je ne sais pas quoi non. C’était une réelle entreprise, qui a nécessité de l’apprentissage, du sérieux, qui a nécessité la rationalité.. des emprunts,
Thomas : des investissements…
Pierre Rabhi : des investissements, donc c’était une réelle entreprise mais dont la finalité n’était pas d’augmenter les bénéfices de l’entreprise. On a même choisi la sobriété parce que les gens nous son dit : « mais ici tel que vous êtes placé, vous avez un élevage de chèvres », on s’était limité à 30 chèvres, « …vous pourriez doubler, tripler… » Non !
Non parce que c’est en doublant et en triplant que l’entreprise va se retourner contre nous. C’est à dire que nous allions devenir l’outil. Ce qui est censé nous amener notre propre promotion, va se retourner contre nous. Et nous nous serons des victimes de notre entreprise. C’est ce qui se passe beaucoup aujourd’hui.
Donc il ne s’agit pas de créer une entreprise pour en être victime. Il s’agit de créer une entreprise qui nous amène la prospérité, qui réponde à nos besoins. Mais en évitant ce piège de celui du « toujours plus ».
Le toujours plus, c’est ce qui s’inscrit aujourd’hui dans ce qu’on appelle la croissance économique infinie et qui aboutit à cette horreur, où la planète est vue comme un gisement de ressources qu’on peut épuiser.
Tout ça c’est de l’entreprise, de l’entreprise humaine.
Thomas : Comment fait-on puisque vous avez du être confronter à ça ? Il y a un moment donné où vous avez vous dire : « Est-ce que je continue à me développer comme une entreprise « classique » dans le mauvais sens du terme, ou « Est-ce que je m’arrête là ? ». Comment vous avez fait ce choix là ?
Pierre Rabhi : Et bien, le choix était philosophiquement intégré dès le départ. C’était pas après. Dès le départ, j’avais cette conscience de l’aliénation que représente le toujours plus. Et je connais beaucoup d’entrepreneurs qui sont aliéné par leur entreprise. Cette entreprise ne leur permet pas… alors elle leur permet de manifester leur rationalité dans le monde, du monde du profit etc. Mais des fois pfff il faut la porter !
Thomas : Quand vous touchez la limite : comment vous savez que vous y êtes ? Je pense qu’il y a plein de moment ou vous vous dites oh là. Là, j’y suis donc je reviens un peu en arrière ou pas en arrière mais en tout cas je reste là où j’étais.
Pierre Rabhi : Alors là, la question est bonne parce qu’il y a un indice. Vous savez ici nous avons examiné le lieu. Bon évidemment ça faisait un moment que j’étais en réaction avec l’agriculture moderne, avec la chimie de synthèse, l’appauvrissement des sols toutes ces choses là. Il y’a longtemps que je suis en réaction parce qu’on détruit le vital : la terre. C’est quand même ce qui fait vivre les gens depuis des millénaires ! Cette terre là aujourd’hui, je regrette, je ne veux attaquer personne, mais elle est massacrée, littéralement ! Par quoi ? Par l’entreprise aussi. Il y a des entreprises qui sont aveugles !
Ce n’est parce qu’il y a entreprise que c’est éclairé. Alors nous, dès le départ, ça été d’abord le fait d’avoir été ouvrier.
J’ai vu combien d’exploitations… parce que ce ne sont plus des fermes ! « Exploitations » dont le terme… On est sortis du terme de fermes…
Thomas : La sémantique est parlante oui
Pierre Rabhi : Voilà ! La ferme avec sa diversité et la place de la terre, la place des végétaux, la place des animaux, la place de l’être humain, organisée dans un petit écosystème avec des haies… Toute une organisation magnifique qui s’inspirait de la nature.
On est rentré dans l’exploitation agricole. On a rasé les haies, on a.. etc Et l’entreprise qui est partie de cette idée du paysan vers l’exploitant agricole l’a amené au niveau d’entrepreneur de la terre. On ne peut plus appeler ça un paysan, mais un entrepreneur de la terre.
Et cet entrepreneur de la terre est parti sur des critères de rentabilité absolue. À partir de là, si tu veux que ce soit rentable, et bien il faut utiliser de l’engrais pour que ça pousse mieux. Quand c’est malade et bien on a les produits chimiques…
Thomas : Ah oui « l’exploitation » permet tout les excès à partir du moment ou on a une définition qui change. C’est intéressant de voir la sémantique et à quel point vous y accordez de l’importance… On parlait des petites boites tout à l’heure…
Pierre Rabhi : Oui ! On parle d’exploitation : l’exploitation, c’est pas le faire valoir du paysan. ça rappelle en quelque sorte une approche minière. Exploiter. Une approche minière et c’est ça qui se passe. On ruine les sols pour pouvoir…
Thomas : et on prend tout…
Pierre Rabhi : et on ruine le sol par ce que le sol c’est vivant. Donc c’est le coté minier . Alors que ça ne s’adapte pas du tout, l’approche industrielle. L’approche industrielle n’est pas adaptable à la terre. La terre c’est vivant, et le vrai paysan il entretient la vie de la terre. Et c’est grâce à ces bonnes pratiques de « rien ne se perd tout se transforme ». Il est le garant de la vie de tous, parce que lui il entretient le vrai patrimoine.
Pendant les guerres il n’y a plus rien à bouffer, tout le monde se souvient du cousin de la campagne ! Tout d’un coup « le cousin à la campagne » alors qu’on la considéré comme un pauvre type, qui n’avait pas réussi, qui n’avait pas etc… que lui il est vraiment le dernier des derniers. Alors dieu sait qu’on a accusé le paysan de tout ce qu’on a voulu. Et bien il se révèle être celui qui tient la vie. Voilà.
Et donc à partir de là on se rend compte des bévues et des erreurs, de la folie dans laquelle nous vivons.
Thomas : Alors, ça nous amène à une question sur l’entreprise au sens un peu plus large c’est à dire pas seulement agricole. Est-ce que le fait de penser l’homme et la nature au centre du système, au centre de… j’aime bien dire l’ADN de l’entreprise. Est-ce que vous pensez que c’est adaptable à n’importe quel type d’entreprise ? Ce n’est pas une question facile…
Pierre Rabhi : Non, fondamentalement, l’homme et la nature sont ensemble. L’être humain et la nature. Mais l’être humain responsable et non pas l’être humain prédateur. Evidemment. Si c’est un être humain responsable, il est responsable de la vie. Il est responsable de la vie pour lui même et pour les générations qui viennent.
Parce qu’on met des enfants au monde, mais, mais… mais quoi ? Moi, je suis terrifié. Quel va être l’héritage qu’on va leur transmettre ? Des terres mortes. On est en train de travailler sur les semences. A 75% disparues !
Et c’est le fait d’entreprises ça aussi. Mais simplement, chaque génération transmettait de génération à génération le patrimoine vital de l’ensemble de l’humanité depuis 10 à 12 000 ans. Aujourd’hui, il a disparu à 75%. On place les OGM, on place toutes les chimères.
C’est criminel. Littéralement criminel.
Et le pauvre citoyen, il se distrait. Il se distrait quoi. Il se grise. Je n’ai rien contre le football, mais enfin, c’est seulement taper dans un ballon. Je ne veux pas vexer les gens. Mais enfin quand même. Ils soulèvent un machin comme ça… Mais ça me fait peur.
Et je n’ai rien contre. C’est simplement le fait qu’aujourd’hui il y a une humanité qui ne veut pas voir. Consciemment ou inconsciemment, ça lui fait peur.
Voilà, et comme la vie est détruite et qu’on est plus en situation de survie qu’en situation de vie. Et bien évidemment, voilà. Nous sommes dans une forme d’impasse avec une conscience qui n’est pas évoluée.
Thomas : Alors vous restez quelqu’un de très en contact et très en réseau. On pourrait dire avec beaucoup de personnalités ou des gens qui sont quand même influents… ou qui essaient de faire émerger d’autres modèles justement pour se projeter dans une transmission pour les générations futures qui serait, comment dire, vertueuse pour tout le monde.
Est-ce que vous n’avez pas l’impression que les consciences sont en train de changer, y compris au niveau de l’entrepreneuriat. Je prend par exemple… le meilleur exemple que j’ai en tête, c’est ce film, Demain, qui a eu un énorme succès et qui retrace finalement le parcours d’entrepreneurs du monde entier qui ont valeur d’exemple.
Aujourd’hui, en tout cas, on a du mal à trouver mieux. Est-ce que vous ne pensez pas qu’il y a un changement qui est en train de ce faire par rapport à ça ?
Pierre Rabhi : Oui, c’est incontestable qu’il y a un changement qui est en train de se faire au niveau de l’entreprise, au niveau des alternatives. C’est pour ça qu’on voudrait organiser un forum civique. Parce qu’on m’a poussé à me présenter aux élections présidentielles en 2002.
Donc là, on est dans les faits réels. En 2002, on me dit : « Il faut que tu te présente aux électeurs ». Mais à quel titre ? Je ne veux pas devenir président. Pourquoi est-ce que je me présenterais aux élections ? Je ne crois absolument pas à la politique telle qu’elle s’exerce. Je cherche la vraie politique et pas la politique partisane ou les chamailleries droites gauches qui sont stériles.
Aujourd’hui, c’est l’humanité qui doit comprendre qu’elle a à se rassembler. Donc au nom de quoi je vais me présenter. Est-ce que je vais me présenter en disant : « si vous votez pour Pierre Rabhi.. je vais faire ci, je vais faire ça.. ? ». Non. C’est pas honnête.
Donc en vertu de quoi ? Finalement, après des insomnies et des réflexions, je me suis dit : « ah, c’est une opportunité pour mettre en avant les valeurs qui me paraissent éternelles, essentielles, universelles ».
C’est celles là qui sont importantes.
Alors que les chamailleries gauches droites, euh… bon.
Donc ça a été :
- Le féminin au cœur du changement.
- Pourquoi éduquons-nous nos enfants dans la dualité et la compétitivité, plutôt que dans la solidarité et l’associativité ? Pourquoi éduquons nous comme ça ?
- Pourquoi est-ce que les utopies sont reléguées, au nom d’une réalité sociale dite totalitaire qui décide qu’on ne peut pas penser autrement que dans leur système ? On ne peut pas se soigner autrement. On ne peut pas cultiver autrement… etc.. etc.
ça a été évidemment tout le rapport de l’humanité avec elle même : prendre conscience de son inconscience, les utopies… et on est partis là dessus.
On a fait un 4 pages. Je vous en remettrai un exemplaire, il m’en reste. Et puis on est partis. Il fallait quand même appliquer le rituel des signatures. Et on est partis. Si on arrivait a avoir 3 signatures de 3 maires en état ébriété, ça serait pas mal.
On s’est dit, mais on est tellement atypiques, qu’on ne voit pas quel est le politique ou le maire qui va nous prendre au sérieux. Et puis on est partis. Et finalement, on a approché les 200 signatures. On s’y était mis trop tard, très tard. Et il y a des maires qui nous ont dit : « Ah dommage, je crois en ce que vous faites, c’est dommage, j’ai déjà donné ma signature ». Et quand on a fait la totalité de ce que nous avions obtenu et de ce que nous aurions pu obtenir. On était pratiquement à 250 signatures, c’est à dire la moitié du quota nécessaire.
Thomas : de 500…
Pierre Rabhi : C’était pour nous et toute la campagne… ce n’était pas « votez pour moi ! ». On a créé des petits forums civiques, c’est à dire que les citoyens se sont rencontrés, ont échangé ensemble, et n’ont pas attendu un prêcheur qui viennne leur dire…
Et c’est là, que ça a été la révélation finalement d’une société en quelque sorte qui est vraiment en quête de sens. Et tout en étant en quête de sens, qui a parmi elle des gens qui agissent et qui déjà ont rejoint demain, qui agissent et qui font des choses.
A partir de là ça nous a conforté dans le fait que cette mutation est en train de se faire parce que finalement le paradigme prometteur de tout les bonheurs est en échec. De plus en plus de citoyens sont orphelins de l’État qui promet qui promet qui promet mais qui ne peut pas tenir, et je ne leur en veux pas. C’est complexe.
A partir de là on est rentré dans un nouveau mode de pensée qui a révélé que beaucoup de citoyens face à l’échec du système, c’est à dire au déclin d’un système qui était prometteur hop ressurgit dans une nouvelle vague pour un nouveau paradigme. Seulement je ne suis pas naïf au point de croire qu’il suffit d’une multitude d’alternatives pour que la société change.
Si l’être humain ne change pas, ça ne changera pas. Il peut bouffer bio et exploiter son prochain. Je peux me chauffer à l’énergie solaire et battre ma femme. etc.
Donc arrêtons de croire que les alternatives, c’est ça qui fonctionne. Il faut aller au cœur de l’Homme lui-même.
Thomas : D’accord.
Pierre Rabhi : C’est le coeur de l’Homme lui-même qui a la racine du problème. C’est pour ça que même pour le film demain, j’aurais mis une grande introduction en disant « ne croyez pas que les alternatives vont changer notre société ».
Si nous ne changeons pas nous-même, rien ne changera. C’est très important de le dire. Donc aujourd’hui on est dans quelle projection du futur ? Sur quelles bases nous allons construire le futur ? Sur l’humanisme ! Et nous avons proposé une structure que j’ai créée, que j’ai inspiré etc, tout est humanisme.
Thomas : Vous parlez de Terre & Humanisme ?
Pierre Rabhi : Il y a Terre & Humanisme ici. Il y a Terre & humanisme au Maroc. Il y en a une multitude. Pour quoi l’humanisme ? C’est cette posture que peut avoir l’être humain. Quand il appuie son amour, il appuie sur sa compassion, il appuie sur la bienveillance. C’est là-dessus qu’il faut appuyer l’avenir ! Pas sur le produit national brut. On s’en fout du produit national brut, si nous voulons un véritable changement.
Et j’irais jusqu’à dire, tout en étant très reconnaissant à ceux qui sont dans l’humanitaire, l’humanitaire, c’est comment corriger le défaut d’humanisme. Si on était dans l’humanisme, personne ne manquerait de rien. Je suis très reconnaissant à l’Abbé Pierre etc, mais ça ne devrait pas exister.
On continue à laisser la société produire de la misère, produire de l’exclusion, produire tout ça et l’humanitaire vient à notre secours.
Thomas : Pour compenser…
Pierre Rabhi : Effet compensatoire. On a l’Afrique riche, comme c’est pas possible, c’est là qu’il y a de la misère ! Alors il y a tout le mouvement humanitaire qui va secourir seulement d’une main on leur donne les sacs de riz et de l’autre on leur prend leurs ressources qui font notre hyper-prospérité.
Thomas : Tout à fait.
Pierre Rabhi : Et avec ces salopards, je n’ai pas peur de ces termes là… qui sont à la tête des États, et qui sont absolument nos complices pour permettre que leur pays soit pillé s, moyennant évidemment des royalties etc., émerge une conscience comme Sankara, que j’ai connu. Thomas Sankara.
Thomas : Thomas Sankara ?
Pierre Rabhi : Oui, parce que j’ai travaillé pour le Burkina Faso pour notre mission sur l’agro-écologie. L’agro-écologie, c’est : « Nourrissez-vous, soignez votre terre et ne dépensez rien, ne donnez pas vos sous à la pétrochimie internationale par les engrais pesticides etc ». C’est ça. Et en même temps, vous nourrissez votre terre, vous la transmettrez encore meilleure que vous ne l’avez reçue pourquoi ? Parce que vous y aurez mis de l’amour.
Thomas : ça c’est extraordinaire.
Pierre Rabhi : C’est ça le fondement pour moi ! C’est ça qui me tient !
Thomas : Ce qui est extraordinaire encore une fois d’un point de vue entreprenariat classique c’est qu’il y a toute une dimension de la valeur qu’apporte l’entreprise qui n’est pas comptable, qu’on ne peut pas quantifier, qui est extraordinairement puissante. Ne serait-ce que redonner la vie à une zone désertique sans parler de tout ce que ça peut créer comme vie au niveau humain, biodiversité etc.
Pierre Rabhi : C’est une merveille ! A tel point que je suis retourné en Afrique il n’y a pas longtemps. J’ai introduit l’agro-écologie au Burkina Faso avec le Point-Mulhouse qui a lancé une structure qui enseigne l’agro-écologie aux paysans.
Ces paysans on leur prenait leur énergie métabolique, physique. On leur faisait produire des produits exportables, coton, cacao, arachides etc. On les faisait produire en leur faisant consommer des engrais chimiques qu’il fallait acheter. Quelque fois on leur disait : « Si tu te sers des engrais ça poussera mieux ! » Seulement on les connecte à la pétrochimie internationale. On leur dit, comme ils sont pauvres « moi je ne peux pas acheter ». « Pas grave on t’avance l’engrais, les pesticides, tu cultives, et quand tu as récolté tu amènes ta récolte nous on la vend et on quand on l’a vendue, on te donne ce qui te reviens déduction faite de ce qu’on t’a avancé ». Et là, le paysan, il est pris comme ça à vie !
L’agro-écologie c’est quoi ? Tu t’appuies sur les énergies de la vie elle-même : tu vas chercher la force de la vie : elle existe. Elle est là ! Il n’y a qu’à la dynamiser, l’entretenir ! ça veut dire agro-écologie : ça veut dire lutte contre l’érosion des sols, par des dispositifs qui font que quand la pluie tombe, l’eau n’emporte pas la terre en même temps qu’elle s’infiltre dans les sols jusqu’aux nappes phréatiques. Tu vas utiliser des semences reproductibles, adaptées à ton milieu, et … Sinon tu ne vas pas pouvoir te nourrir parce que tu seras constamment endetté.
Constamment endetté. Tu dois de l’argent à la coopérative pour les semences qu’on t’a avancées pour l’engrais, pour les pesticides et le paysan est ruiné. Et qu’est ce qu’il dit à ses enfants ? « Ecoute va-t-en » ! Les villes grossissent de ces gens qui sont des naufragés qu’on pourrait aider à maintenir sur leur sol. Ce sont des naufragés qui arrivent et donc produisent des villes monstrueuses. Et là, la misère s’en suit à l’intérieur. D’où les problèmes de nourriture…
Pendant ce temps là, l’espace nourricier, c’est à dire celui qui pourrait nous nourrir se désertifie.
C’est exactement comme en France. En France, si on arrêtait les transports pour nourrir les parisiens, en une semaine, c’est la pénurie. C’est la pénurie parce qu’on a pas compris que la vie n’est pas là et qu’elle est à la terre.
Donc cette organisation disons visuelle de l’entreprise, et bien cette organisation de l’entreprise est erronée.
Donc, il faut quelles entreprises ? Quelles entreprises seront nécessaire pour que demain soit possible ? Est-ce qu’on va continuer à d’un côté, d’un même système produire des chômeurs et en même des gens qui ont des choses à vendre, en même temps que des gens qui ne peuvent pas acheter.
On ne voit pas la logique.
Thomas : Oui, on en voit les limites déjà un petit peu partout.
Pierre Rabhi : Quand on prend l’ensemble disons de ce que qu’on pourrait appeler l’entreprise, on s’aperçoit qu’on fait à peu près 40% de choses inutiles. Donc l’organisation des entreprises devrait être faite sur comment répondre aux vraies nécessités et pas au superflu. Parce que, à force de vouloir du superflu, et bien on crève.
Il y a des entreprises qui ne peuvent plus vivre sans produire de superflu. Et toute entreprise qui produit du superflu, ça veut dire qu’elle est en dissonance par rapport à ce qu’on pourrait appeler l’économie. Et quand on parle d’économie, on parle de tout ce qu’il y a dans la réalité financière. Mais on intègre absolument pas tous les actes que nous faisons non rémunérés.
Thomas : Il y aurait une manière de les intégrer pour l’avenir ? Ou est-ce que ce sont des choses qui ne sont pas comptabilisables ?
Pierre Rabhi : C’est à dire que là où l’entreprise devient disons… vous prenez les gens simples. Les peuples premiers, que j’adore, qui ont une logique extraordinaire, une simplicité. Moi si il fallait me réincarner, j’aimerais devenir Sioux. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai un amour pour les Sioux. Ils ont une espèce de noblesse et en même temps, ils ne comprennent pas pourquoi des blancs flinguent des bisons pour s’amuser. Ils ne comprennent pas.
Nous, nous tuons pour vivre, mais nous ne tuons pas pour nous amuser. Et le meurtre devenu un divertissement, mais c’est une horreur absolue. Et tout cela rentre dans l’inconscient et finalement cette capacité à mettre en norme les pires horreurs. Fabriquer des armes c’est une norme, sauf que c’est une horreur.
Et donc ce qui fait que nous avons affaire à une humanité non évoluée qui est dangereuse pour elle même qui est dangereuse pour la vie. Et le temps est venu de changer de paradigme. Et que l’entreprise soit celle dédiée à la vie, vraiment à la vie.
Si on amenait la logique du système, si vous voulez, pour dire tout ce qui n’a pas de prix n’a pas de valeur. Tout ce qui n’a pas de prix n’a pas de valeur.
De toute façon il y a des choses qui n’ont pas de prix, parce que c’est la vie. Ou alors on est dans la logique de l’économie, telle que la conçoit le système. Auquel cas, une mère de famille peut envoyer sa facture à l’Etat en lui disant, moi je vous ai élevé un petit producteur consommateur. J’ai passé tant d’heures à m’occuper de lui, j’ai… etc… voilà, je vous envoie ma facture parce que je vous ai fabriqué un consommateur producteur. Vous me devez tant. ça c’est dans la logique de la vie, c’est pas dans la logique de l’entreprise.
Et pourtant, c’est une entreprise. Vous voyez ?
Thomas : J’allais dire, on entend de plus en plus parler dans les milieux un peu initiés, de valeur extra financière des entreprises. Il y a des gens qui commencent à essayer de mettre des indicateurs pour essayer de mesurer le bien être des employés, ce genre de choses. On entend parler aussi de biomimétisme, un nouveau mode d’innovation où en fait on observerait beaucoup plus la nature pour essayer d’être aussi performante qu’elle quelque part… parce que la nature serait beaucoup plus performante que l’homme… en terme de déchets non produits…
Pierre Rabhi : Ecoutez, il y juste quelques jours, une personne comme vous. Elle n’a pas filmé, mais c’était pour un journal. Elle faisait une enquête sur l’eau. Je lui dis madame, vous êtes de l’eau. Vous faites donc une enquête sur vous même. Et cette espère de, de rupture mentale entre la nature et nous a fait que nous avons oublié qui nous sommes. La chair vient de la terre. Le souffle et bien le souffle… Si il n’y a pas d’air et bien je ne vis pas. Et je suis de l’air aussi. Donc ce qui fait qu’il y a toute une approche erronée, où toujours l’homme, installé comme patron de tout est libre de faire de tout.
J’ai lu toute la bible. Et d’abord, ça commence par la connerie de Eve. Elle a bouffé une pomme et elle nous a foutu dans un bazar pas possible avec la côte d’Adam. Déjà dès le départ, c’était parti de travers. Vous lisez toute la bible, c’est masculin, masculin, masculin, l’homme, masculin. Le dieu Masculin, tout est masculin. Et quand on y rencontre une femme, soit c’est une sainte, soit c’est une femme de mauvaise vie.
Mais vous voyez sur quoi est installé le socle sur lequel est installé aujourd’hui la conscience collective. Si on ne prend pas en compte que la première entreprise que nous avons à reconcevoir, c’est de remettre déjà de l’ordre dans notre psyché.
ça c’est la première entreprise. Ensuite on fait ceci, on fait cela, peu importe, mais on fait ceci, on fait cela, pour répondre à des nécessités, à des besoins. La plus grande entreprise aujourd’hui que l’humanité doit engager, c’est de prendre conscience de son inconscient.
Tant qu’elle n’a pas entrepris cela, on continuera à rafistoler le système dans un bateau dont on sait… Et la formule de Fournier est très juste « on ne sait pas où on va, mais on y va » et donc, je me permet de dire, avant d’aborder les questions d’entreprise, ça je dirais que ce sont les éléments qui vont répondre à des nécessités qu’on leur a défilé.
Thomas : C’est une conséquence plus que…
Pierre Rabhi : C’est la réponse normale à la nécessité. Mais la plus grande entreprise pour l’humanité, c’est déjà de prendre conscience de son inconscient. Prendre conscience de son unité. Elle est une et indivisible. Parce que ce qu’on voit aujourd’hui de plus en plus, c’est l’occident qui se circonscrit sur lui même. Et j’appelle à mon ami Ziegler… La faim dans le monde, toutes les 5 secondes, un enfant meurt de faim. Et tous ces problèmes là sont évacués et l’occident se replie de plus en plus sur sa propre entreprise.
Il oublie complètement qu’il est aussi responsable, gravement responsable de l’entreprise qu’il a eu de coloniser, de subordonner des peuples… etc et donc de piller les biens des autres dans la grande entreprise qui justement allait piller. Voilà, ça c’est la grande entreprise qu’on a engagé pour prélever les ressources, les concentrer et ensuite on fait avec ça de l’entreprise. Qu’est-ce que serait l’occident sans le pétrole ?
Thomas : Alors, j’ai peut être deux petites questions encore. Il y en a une que je brûle de vous poser. Si on se projetais un peu dans l’avenir, en imaginant que on trouve moyen de créer le socle vertueux. On aurait une nouvelle génération d’entrepreneurs. A quoi ressemblerait… des hommes en général et des femmes… à quoi ressemblerait le succès dans ce modèle là ?
Pierre Rabhi : D’éliminer le superflu. Si on élimine pas le superflu… quand je vois Noël, les enfants et le ppff… qu’est-ce que c’est que ce truc là… moi j’ai eu une trottinette, j’étais très heureux et ça suffisait largement. Aujourd’hui… superflu, superflu, superflu, parce qu’on créé un être humain insatiable. Et c’est ce que fait la publicité qui ne vous dit pas « vous avez ce qu’il faut et dormez braves gens ».
Si vous avez à manger, vous êtes vêtu, vous êtes abrité, vous êtes soigné, vous avez ce qu’il faut. Maintenant, on est pas non plus ricrac, que dans ce qui est indispensable. On peut s’offrir des fantaisies. Mais cette frange de fantaisie de ce qu’on appelle le superflu a pris une telle envergure que beaucoup d’entreprises ne peuvent pas vivre sans le superflu. Vous comprenez. Sans ce superflu, elles ne peuvent survivre.
Donc il faut redéfinir vraiment à quoi sert l’entreprise. Est-ce qu’elle sert vraiment à répondre aux nécessités des êtres humains ? Et j’inclus aussi les animaux etc.. Ou est-ce qu’elles répondent aux fantasmes ? A partir du moment où vous ne faites que répondre à des fantasmes, vous n’êtes plus dans l’entreprise. Et en plus, ces fantasmes coûtent en énergie, coûtent en matière, coûtent en temps humain.. etc… pour du superflu.
Donc les entreprises devraient déjà être révisée en terme : est-ce que nous répondons à des nécessités ou est-ce que nous répondons à du superflu ?
Thomas : ça fait un bon point de départ.
Pierre Rabhi : Et bien disons, moi je ne suis pas en mesure de vous dire autre chose, parce que je ne vois pas. Je m’en excuse, mais je ne peux pas m’aligner simplement à cette restriction qu’il y a dans la pensée aujourd’hui, qui est celle qu’il faut à tout prix faire du fric, quel que soit le truc, en détruisant les forêts… Et on appelle ça l’économie. Non, ce n’est pas l’économie.
Thomas : Oui, en plus, encore une erreur sémantique…
Pierre Rabhi : C’est énorme, considérable bien sûr ! A partir du moment où vous dites il faut de la croissance. Et bien, en détruisant les forêts, on fait de la croissance. En épuisant les ressources de la mer jusqu’à la dernière baleine, jusqu’au dernier.. on fait de la croissance. Mais ce que nous faisons… est-ce que cette entreprise humaine globale est une entreprise éclairée ? Ou est-ce que l’entreprise générale de l’humanité n’est-elle pas simplement pour essayer de répondre à des critères subjectifs ? Dont celui de la mort.
Thomas : D’accord… qui sous tend toute cette question là…
Pierre Rabhi : Tout est de l’entreprise. Seulement le problème c’est quand l’entreprise répond à des nécessités de survie, elle est totalement comment dire, utile. Mais quand on sort de l’utile pour aller vers l’inutile, cet inutile que l’on consomme se fait au détriment d’autres gens qui n’ont pas : le plus pour les uns et le moins pour les autres.
Et c’est pour ça que l’entreprise planétaire devrait aujourd’hui repenser l’entreprise pour l’intérêt de l’ensemble de l’humanité en prenant en compte l’ensemble de l’humanité et non pas chacun dans son coin faisant son truc pour augmenter son bilan. L’entreprise humaine aujourd’hui doit prendre en compte.
Thomas : Voilà ! Merci pour ces quelques minutes passées ensemble. J’avais une autre question, mais vous y avez déjà répondu, sauf si vous avez un petit dernier mot à ajouter peut-être, pour les entrepreneurs qui nous écoutent et qui sont en train de chercher à transformer leur entreprise existante, ou à créer du nouveau à partir de zéro.
Si vous aviez un truc à leur suggérer au-delà de ce qui a été dit parce qu’on a dit beaucoup de choses…
Pierre Rabhi : C’est à dire ce que j’ai dit c’est : comment on répond aux réelles nécessités. ça c’est important … et là je suis reconnaissant dans cette entreprise. Donc à partir de là on est bien dans ce qui est légitime..
Intégrer le tout dans quelle logique. Sinon on est dans son coin. On est son microcosme. Mais ce microcosme est aussi lié à un macrocosme. Il faut prendre en compte le macrocosme pour que dans son microcosme, je puisse savoir en quoi il est logique avec le macrocosme.
Thomas : garder le lien avec le reste ?
Pierre Rabhi : Qu’est ce que ça produit le microcosme ? Je sais très bien que si je fabrique des armes… je sais ce que ça se produit et c’est aussi une entreprise. Donc vous voyez avant toute chose, il faut l’avènement de l’intelligence et nous avons beaucoup beaucoup d’aptitudes. Nous avons d’énormes aptitudes et cette intelligence, elle ne peut éclairer que par l’amour. L’amour authentique pas l’amour chamaillerie humaine avec tous nos trucs, mais l’amour en tant qu’énergie extraordinaire, que les êtres humains peuvent vivre.
C’est pour ça que je reste attaché à ce monsieur qu’on appelle Jésus, je n’ai plus aucune religion ni rien du tout, mais l’affirmation dans laquelle c’est l’amour qui est la substance essentielle pour les êtres humains pour leur bien, leur enfants et pour le bien de la vie…
Et il n’y a pas besoin de théologie… Comment revenir à cette simplicité ?
Thomas : Merci beaucoup pour ces instants partagé avec vous.
Et pour vous, entreprendre pour demain, c’est quoi ?Partagez votre point de vue dans les commentaires ci-dessous. Merci ^^
0 commentaires