À l’heure où les travers de la fast fashion sont de plus en plus pointés du doigt, de nombreuses alternatives naturelles réapparaissent sur le marché textile. Que ce soit le lin, le coton bio, le cuir végétal ou encore le chanvre textile, de plus en plus de marques françaises s’emparent de ces matières premières pour en faire les solutions de demain grâce aux vêtements éco responsables d’aujourd’hui.
Le chanvre revient sur le devant de la scène. Ses vertus sont multiples et naturelles ! Elles vont de l’alimentaire, à l’écoconstruction, au bioplastique en passant par le cosmétique et la thérapeutique.
Le chanvre connaît un regain d’intérêt alors que sa culture a presque disparu dans les années 1960. Aujourd’hui, le chanvre n’est plus seulement utilisé pour la santé ou la construction, mais également dans le vestimentaire grâce à une forte hausse de demandes de vêtements écologiques.
Cette matière naturelle a beaucoup d’avantages :
- beaucoup moins d’eau que les cultures conventionnelles (blé, maïs)
- Aucun pesticide ou produit chimique nécessaire
- naturellement plus résistante que le coton ou le synthétique
Pourtant, jusqu’en 2021 il n’existait aucune filature de chanvre en France. Le chanvre textile était à 95 % du Made in France. Depuis 2021 c’est 100 %.
En France, le marché textile tout confondu est évalué à un chiffre d’affaires de 41 milliards d’euros en 2016, d’après le Fashion Network. En prenant seulement 10 % des parts de ce marché, le chanvre textile pourrait compter pour 4,1 milliards d’euros.
C’est donc un domaine au potentiel économique et écologique gigantesque et qui touche toute l’industrie textile, le prêt à porter, c’est à dire, les vêtements, les chaussures et autres accessoires de la mode.
Mais alors, qu’est-ce que le chanvre ? En quoi le potentiel du chanvre textile est-il si important ? Quels sont ses avantages sur le lin ? Peut-on cultiver du chanvre textile légalement en France ? Comment le transformer et avoir un chanvre textile 100 % français ?
Cet article vous livre les grandes pistes de réflexion et les enjeux de la culture du chanvre textile pour savoir d’où l’on vient, où nous en sommes et l’on va. Tout cela dans l’objectif de voir comment il est possible de développer une nouvelle filière du chanvre textile.
Qu’est-ce que le chanvre ?
Chanvre, cannabis, CBD, : quelles différences ?
Le chanvre a une image sulfureuse, encore aujourd’hui. Cela vient sans doute du fait que le chanvre provient de la même plante que le cannabis. C’est le taux de THC qui diffère. Les variétés interdites contiennent plus de 0,2 % de THC tandis que d’autres sont inoffensives et autorisées au catalogue officiel des semences.
Le cannabis
Le cannabis est le nom latin du chanvre. Aussi appelé marijuana, ses variétés sont à usage exclusivement récréatif au vu de sa teneur en THC. Il a un effet psychotrope.
Le chanvre
Le chanvre, l’autre nom du cannabis est considéré comme variété légale lorsqu’il fait partie des variétés légales. C’est en dessous de 0,2 % de THC sur poids sec que l’on peut classifier la plante comme étant du chanvre industriel, dans la plupart des pays européens et lorsque la variété est inscrite au catalogue officiel des semences.
Le CBD
Aussi appelé cannabidiol, le CBD est l’un des nombreux cannabinoïdes présent dans le Cannabis. On lui prête de nombreuses propriétés thérapeutiques. Le CBD est :
- antidouleur ;
- anti-inflammatoire ;
- favorise le sommeil ;
- anti-stress ;
- antalgique, etc.
Le CBD n’a pas d’effet psychotrope, ni d’effet d’accoutumance ou d’effet indésirable connu.
Le chanvre textile : une matière oubliée
La France est le premier pays producteur de chanvre industriel européen avec 17 900 hectares cultivés en 2020, majoritairement pour ses graines et ses fibres.
Ces dernières servent à la réalisation d’agro-matériaux qui utilisent la chènevotte (isolation, emballages, paillage, papeterie). Peu de parcelles sont dédiées au chanvre textile, alors que c’est une utilisation qu’on en fait depuis plus de 6 000 ans.
Le chanvre est l’une des plus anciennes fibres textiles utilisées. Sa culture remonte initialement en Asie, où l’on a découvert des restes de tissus vestimentaires datant de 4000 ans av. J.C, comme en témoigne Alexis Chanebeau, historien, dans son ouvrage “Le chanvre. Du rêve aux mille utilités” (2013, p.91)
Cette fibre textile exceptionnelle réapparaît aujourd’hui mais a longtemps été prépondérante dans l’habillement. Les premiers “jeans” de la fameuse marque Levis Strauss étaient fabriqués avec cette fibre textile naturelle, de même que le “pantalon de Nîmes” qui a donné naissance au “denim”.
En 1850, 75 % des vêtements étaient fabriqués à partir de fibres de chanvre.
Le chanvre était aussi utilisé en France pour fabriquer les voiles et les cordages de la marine. Ces voiles en chanvre permettaient même aux bateaux d’être plus rapides, ce qui donnait un avantage décisif et stratégique face aux ennemis.
Étant un répulsif naturel par ailleurs très solide, la fibre de chanvre résiste à l’attaque des moisissures, des champignons, à l’agression de l’eau salée, mais aussi aux rats. Le cordage en chanvre reste imputrescible, et garde son élasticité, même après plusieurs années. Elle permet de protéger et conserver les marchandises.
Mais alors, pourquoi est-ce que le chanvre textile a disparu durant de longues années ? Comment se fait-il que la France n’a pas pu être autonome jusqu’en 2021 avec une filière 100 % française ?
C’est principalement à cause de l’arrivée des fibres synthétiques, du coton et des lobbies lié au pétrole. Ces derniers voulaient remplacer le chanvre par le nylon, le polyamide et mettaient en avant les matières plastiques issues de l’industrie du pétrole et des énergies fossiles.
En 2021, une partie du problème réside dans le matériel nécessaire à la parallélisation de la plante, c’est-à-dire sa coupe en deux pour qu’elle rentre dans les teilleuses, qui servent à l’extraction de la fibre. Certaines variétés de chanvre, comme la Carmagnola, peuvent atteindre 5m de haut, même si la moyenne varie entre 2 et 3 mètres.
À cause des lobbies, le chanvre a été abandonné petit à petit dans les années 1950-60. Seul un usage personnel persistait faiblement, pour la fabrication de vêtements et de cordages. Mais le coup d’arrêt a été donné par les États-Unis et l’Europe de l’Ouest avec de nombreuses lois interdisant sa culture, en mettant en avant les effets psychotropes (minimes) de la plante. Sous ces lois se tapissent surtout des intérêts de grosses entreprises américaines, notamment du papier et le pétrole.
Des fibres textiles naturelles et écologiques : le chanvre et le lin
Le lin et le chanvre : quelles différences ?
Anciennement, on disait du lin que c’était une fibre de luxe tandis que le chanvre était une plante pour les pauvres. En effet, la culture du lin appauvrit les sols et nécessite une rotation des cultures avec une plantation maximum tous les 7 ans sur le même sol.
Le chanvre, lui, enrichit la terre et nécessite moins de rotations de cultures. On peut replanter une autre culture derrière une culture de chanvre avec souvent entre 10 à 30 % d’augmentation des rendements.
Pourtant, c’est le lin que l’on retrouve le plus souvent dans nos vêtements écologiques et écoresponsables. Cela est dû aux innovations agricoles de la fin du 20e siècle. Seulement les machines liées à la production de lin ne peuvent pas être transposées telles quelles à la culture du chanvre, qui est beaucoup plus grand et robuste. Ce dernier contient de la silice qui peut émousser les lames au moment de la récolte. C’est pour cela que des outils aux réglages spécifiques sont nécessaires.
Ces 2 fibres textiles naturelles du lin et du chanvre se différencient également dans leur texture et leur couleur. Le lin tend vers les teintes de gris tandis que le chanvre tire vers les teintes brunes.
Le lin et le chanvre ont par ailleurs des ressemblances. Leurs besoins en eau, en pesticides et produits chimiques sont nettement inférieurs à ce qui est utilisé pour la culture du coton conventionnel, voire nuls. Le chanvre est naturellement antifongique et peut être cultivé sans pesticides ni produits chimiques.
Il est possible, en fonction du procédé de fabrication, de n’appliquer aucun produit chimique de bout en bout et jusqu’au produit fini, le tissu étant naturellement antibactérien et hypoallergénique.
C’est une des raisons qui pousse les acteurs de la slow fashion, ou de la mode éthique, à se tourner vers cette fibre naturelle aux qualités multiples. De nombreux produits et chimiques sont pulvérisés sur les vêtements et à chaque étape de leur fabrication, et ce en quantité astronomique pour 98 % des tissus que l’on porte au quotidien. Ce sont des particules toxiques que l’on respire et qui sont en contact avec notre peau. C’est un réel carnage écologique et sanitaire.
Les avantages du chanvre sur le coton
Aujourd’hui, nos vêtements sont fabriqués à 98 % en fibres synthétiques, ou bien avec du coton pour les matières naturelles. Sauf que ce dernier est rarement bio et a de nombreuses conséquences écologiques et sociétales négatives. Même quand il est organique ou bio, les conséquences écologiques et sociétales liées à l’industrie du coton restent importantes, comme en témoigne l’assèchement de la Mer d’Aral et la disparition de tout son écosystème y compris humain, jusqu’en 2007.
Le coton n’est pas cultivé en France. Il est donc nécessaire de le faire importer, ce qui ajoute un maillon dans la chaîne du produit, de l’opacité de la provenance et des conditions de travail qui lui sont liées. En plus de cela, l’importation nécessite encore un recours aux énergies fossiles pour son transport.
Par rapport au coton conventionnel, les avantages du chanvre textile sont nombreux :
- il consomme 10 fois moins d’eau
- ses cultures stockent du CO2
- il ne nécessite pas de pesticides ni d’engrais pour sa pousse
- le chanvre textile est 6 fois plus résistant que le coton
- il est hypoallergénique et non irritant pour la peau, comme le précis Alexis Chanebeau : c’est la meilleure matière textile pour la peau humaine
- sa résistance à la chaleur est plus élevée, il a donc une meilleure absorption des teintures
- il est antifongique et antibactérien
- sa fibre est naturellement thermorégulatrice et donc très agréable à porter
- son séchage est rapide
- il filtre 95 % des UV
- sa fibre s’adoucit au fil des lavages
- la filière chanvre permet la création d’emplois en France
- le chanvre peut permettre l’accès aux circuits courts pour l’industrie textile
Le chanvre apparaît indiscutablement comme la fibre par excellence pour une industrie textile du futur, avec des vêtements écologiques, loin de ceux de la fast fashion.
Depuis 2021, il est possible d’avoir un fil en chanvre 100 % français. Le potentiel économique et écologique qui en découle est donc énorme. Et les enjeux à relever grâce à cette filière sont considérables. Cette filière chanvre permet de se désengager des énergies fossiles, de réduire considérablement les produits chimiques sur nos vêtements et donc de préserver notre santé. Avec cette filière, les opportunités de créer des entreprises à impacts positifs ne manquent pas !
La filière du chanvre textile en France
Les avantages de la culture de chanvre textile
De par sa robustesse, par rapport à d’autres plantes, les cultures de chanvre connaissent un fort rendement. Mais pas seulement.
Les avantages de la culture du chanvre sont nombreux :
- elle abrite la biodiversité et enrichit les sols (elle les dépollue) ;
- une grande résistance à la sécheresse, mais aussi aux pluies abondantes ;
- c’est une plante étouffante qui tue les herbes invasives ;
- sa croissance est rapide et vive ;
- son système racinaire pivotant (jusqu’à 3,5 m de profondeur) fortifie et aère les sols ;
- il a une grande capacité de stockage du CO2 ;
Les agriculteurs, et agricultrices, qui se lancent dans la production de chanvre sont assuré·es d’avoir une plante facile à faire pousser, et dont les utilisations sont multiples et connaissent une forte demande qui ne fait que croître au fil du temps !
5 étapes pour transformer le chanvre en tissu
Comment fait-on exactement pour transformer le chanvre en étoffe ? Quelles sont les étapes à mettre en place pour une production 100 % Made in France ?
Il existe 2 types de filatures aujourd’hui : l’artisanale et traditionnelle, et la transformation industrielle. C’est l’ensemble qu’il convient de structurer, même si les enjeux les plus importants se situent plutôt du côté industriel. C’est là que les volumes pourraient devenir très importants, afin d’avoir une offre large de vêtements écologiques à base de chanvre 100 % français et moins coûteux.
1. Le rouissage
Après la récolte vient l’une des étapes clés dans la transformation du chanvre : le rouissage. Il s’agit de préparer les fibres pour l’extraction.
Pour ce faire, il faut faire tremper plusieurs semaines les plantes coupées. Jusqu’au 19e siècle, cela se faisait dans les rivières, avec des effets indésirables (odeurs et eutrophisation des rivières). Pour palier à ce problème, le rouissage peut s’effectuer directement sur le sol des champs, ou par des procédés industriels qui utilisent des enzymes pectinases qui permettent d’accélérer le processus.
2. La décortication ou le teillage
Souvent réalisée de manière mécanique, la décortication consiste à séparer la fibre végétale qui se trouve à l’extérieur de la tige de la chènevotte. L’étape précédente de macération est donc primordiale pour faciliter l’extraction. Cette partie ligneuse est à enlever car elle contient de la lignine qui rend les fibres rugueuses. De cette étape, on sort la filasse de 70 à 80cm de longueur.
3. Le cardage
Le cardage, ou la peignée, permet de démêler les fibres et de les mélanger de manière homogène. Dans la transformation industrielle, la fibre passe dans la carde – une machine avec des tambours garnis de très fines pointes en acier qui tournent à grande vitesse. Elle divise, parallélise et peigne le chanvre pour retenir les impuretés que l’on peut trouver. Cette étape est primordiale pour un filage efficace et pour donner un fil solide et uniforme.
4. Le filage
C’est cette étape finale qui n’était plus possible en France jusqu’en 2021 à cause du manque de filature de chanvre. Les filatures de lin sont rares, et il est presque impossible de transposer ce modèle de filature directement pour le chanvre qui nécessite du matériel spécifique.
Néanmoins, des associations comme Lin et Chanvre Bio réunissent régulièrement les principaux acteurs des filières françaises et européennes pour favoriser la structuration des filières du chanvre textile.
Les enjeux d’une production chanvre textile française
Tout l’enjeu d’une filière de chanvre textile française réside dans l’innovation de la machinerie du secteur. Les anciennes machines artisanales, et surtout manuelles, ne peuvent être utilisées aujourd’hui. Elles seraient trop coûteuses en main-d’œuvre, ce qui rendrait la production de chanvre textile économiquement impossible en France.
De même, les innovations réalisées pour le lin ne peuvent convenir au chanvre, pour plusieurs raisons :
- la résistance de ses tiges qui émoussent les lames à cause de sa silice
- sa taille : il est trop haut pour rentrer dans les engins de teillage. Cela nécessite 2 fois plus de travail car il faut couper les tiges afin d’éviter le bourrage des machines.
Comment avoir une production 100 % française ?
Jusqu’en 2021, c’est le manque de filature qui pêchait dans le secteur. Le prix du fil, à cause de son importation, souvent depuis l’Asie ou des pays d’Europe de l’Est, était donc un facteur limitant pour toute la filière française.
Grâce aux nouvelles filatures, les emplois à créer sont nombreux, et il est possible pour le chanvre textile, de prendre des parts du marché du textile industriel « as usual » très polluant. C’est un cercle vertueux : plus il y a d’acteurs dans le chanvre textile, moins le fil de chanvre sera cher et plus la demande explosera.
Pour avoir une filière entièrement française mature sur le sujet, plusieurs points sont à prendre en considération :
- l’adaptation des anciens savoir-faire aux enjeux d’aujourd’hui ;
- un modèle économique juste et rentable, qui permette de rémunérer correctement les acteurs et actrices de chaque maillon des chaînes de production et de commercialisation des produits ;
- l’adaptation de certains matériels agricoles et de transformation ;
- la production en grand volume ;
Pour enclencher une production française, il faut déjà avoir la certitude d’avoir une filière minimum viable. C’est pour cela que les acteurs de l’association Lin et Chanvre Bio ont réuni les principaux acteurs de la filière, qui se sont engagées à prendre une certaine quantité de fil français. Quand on sait qu’une unité de défibrage vaut plusieurs millions d’euros, le but est bien sûr de la rentabiliser.
Une filière d’avenir
Le secteur du chanvre est sans aucun doute une filière d’avenir. Entre la résilience des cultures, la robustesse du fil et la croissance de la demande pour les diverses utilisations de la plante, il est certain que le chanvre revient sur le devant de la scène.
Cette fibre naturelle et écologique va prendre une part non négligeable du secteur textile et le plus tôt sera le mieux. À l’heure où les consciences s’éveillent, la fast fashion se remet en question.
Il vaut mieux une production de chanvre locale, 100 % française, qu’une qui soit entièrement bio mais importée. Tout le défi est d’avoir un vêtement en chanvre 100% sain et fabriqué en France de la graine jusqu’au fil. L’impact carbone est nettement meilleur, même si les cultures ne sont pas labellisées bio.
Si le chanvre textile parvient à prendre 10 % de la part du marché du textile français, et il en a largement la capacité, le chiffre d’affaires de la filière serait de 4,1 milliards d’euros, un potentiel très prometteur.
En plus d’être écoresponsable et écologique, cette filière du chanvre textile permettrait la création de nombreux emplois, que ce soit dans l’agriculture ou dans tous les autres maillons de la chaîne.
Cet article vous a donné envie de vous lancer dans le milieu du chanvre ? Bio-Entrepreneur est engagé dans des programmes de formation aux métiers du chanvre, notamment via son programme de formation Chanvre Légal Pro.
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